By Julien Chongwang
[NIAMEY] En cette fin décembre 2016, le temps est beau et le ciel clair au-dessus du Niger. Mais, l’horizon de l’année 2017 est sombre pour les 478 habitants de Bani Kosseye, petit village situé à 80 kilomètres de Niamey. Ici, la production agricole a été pauvre et les familles n’ont pu faire que de petites réserves qui seront épuisées d’ici quelques semaines. C’est dire si les populations redoutent déjà la disette…
Pour les habiants de cette localité, le principal responsable de ce stress alimentaire a un nom : le criquet. Les dégâts qu’il cause sur l’agriculture font en effet de ce minuscule insecte l’ennemi public numéro un dans les champs et dans les pâturages de ce pays sahélien.
Les différents services dédiés à la lutte contre la menace acridienne au Niger classifient les acridiens en deux principaux groupes : le criquet pèlerin et les sauteriaux. A en croire les spécialistes nigériens de la question, les criquets migrateurs représentent ici une menace plutôt négligeable.
Appelé aussi huitième plaie d’Egypte, le criquet pèlerin a la capacité de “se grégariser” pour former des essaims pouvant contenir plusieurs dizaines de millions d’individus et capables de se déplacer sur de longues distances et sur plusieurs pays pour dévaster des champs. A titre d’illustration, l’invasion de 2003 – 2005 avait touché 20 pays et dévasté des millions d’hectares de cultures.

SITUATION EN DECEMBRE
Au mois de décembre, des ailés solitaires isolés, immatures et matures, ont persisté sur quelques sites des plaines du Tamesna, entre Tassara, la frontière malienne et le plateau du Tezerzait. Des larves solitaires de stade 3, en faibles effectifs, ont été observées près d’In Abangharit. Aucun criquet n’a été observé dans le nord des montagnes de l’Aïr.
PREVISIONS
Des ailés en faibles effectifs vont probablement persister sur quelques sites du Tamesna et il se peut qu’ils soient présents dans les montagnes de l’Aïr (1).
D’ailleurs, le Plan de gestion du risque acridien du Niger estime dans son préambule qu’en période d’invasion généralisée, les essaims de criquets pèlerins peuvent infester “une aire de 29 millions de km² peuplée de 1,3 milliard d’habitants et s’étendant des côtes atlantiques africaines de l’hémisphère nord à la frontière indopakistanaise ; et de la méditerranée à l’équateur”.
Selon Idrissa Maiga, acridologue au centre régional Agrhymet à Niamey, “c’est une espèce qui a une capacité de reproduction extraordinaire. Les femelles peuvent pondre à plusieurs reprises au cours de leur vie et chaque ponte compte entre 80 et 100 œufs par femelle.”
Et quid de la voracité ? “Chaque individu est capable de consommer l’équivalent de son propre poids en matière végétale par jour”, illustre l’entomologiste.
“Sachant qu’un criquet pèse en moyenne deux grammes, cela veut dire que chaque individu peut consommer deux grammes de matières fraîches par jour”, poursuit l’intéressé.
“Alors, si vous considérez un essaim qui a des dizaines, voire des centaines de millions d’individus, si cet essaim s’abat sur une culture, il leur suffit d’un quart d’heure ou d’une demi-heure pour dévaster tout ce qui est matière fraîche dans la zone où l’essaim a pu se poser”, conclut Idrissa Maiga.
1,25 million d’ha dévastés en 1988
Certains spécialistes des criquets pèlerins, cités dans une note technique du dispositif de surveillance acridienne du Niger publié en décembre 2016, estiment même que “théoriquement, un essaim couvrant le sol sur 25 km² d’une densité de 100 insectes posés au mètre carré, est capable de consommer autant d’herbage qu’un troupeau de bovins de 50 000 têtes”.
D’ailleurs, à en croire Abou Moumouni, directeur général du Centre national de lutte antiacridienne (CNLA), le Niger a payé un lourd tribut à l’invasion de criquet pèlerins de 2003 – 2005.
“3 755 villages avaient connu un déficit céréalier de l’ordre de 27% équivalent à environ 223 4487 tonnes” dit-il.
Et d’ajouter: “Ce déficit dû à l’action couplée de la sécheresse et des criquets pèlerins avait conduit à une baisse de la production fourragère de 4,47 millions de tonnes”.
Ainsi, la situation est très préoccupante pour le Niger qui fait partie, avec la Mauritanie, le Mali et le Tchad, des quatre Etats dits de la ligne de front en Afrique occidentale et centrale. Il s’agit de pays qui abritent des aires grégarigènes et de reproduction du criquet pèlerin où celui-ci vit en permanence et se reproduit pour finalement former des essaims avant d’envahir les cultures si le processus n’est pas interrompu…
Au Niger, ces zones sont notamment l’Aïr, le Tamesna et, dans une moindre mesure, le Sahel des pâturages qui n’est qu’une zone de reproduction estivale.
Fort heureusement, ce n’est pas chaque année que le pays ou la région fait face à une invasion. “Si nous prenons les trente dernières années, les invasions de criquets pèlerins ne se sont produites que trois fois : en 1988, en 2004 et en 2012”, souligne Moudy Mamane Sani, directeur général de la protection des végétaux au ministère de l’Agriculture et de l’élevage.
Pour autant, les séquelles de ces invasions lointaines restent longtemps présentes dans les esprits. Ainsi, d’après le CNLA, 1,25 million d’hectares de cultures ont été dévastés au Niger lors de l’invasion de 1988 ; laquelle avait affecté en tout 23 pays pour 26 millions d’hectares de cultures.
Exode rural
“Suite à la crise de 2004/2005, presque 4000 villages du Niger avaient été abandonnés par leurs habitants après avoir perdu leur production.”
Abou Moumouni
DG du Centre de lutte antiacridienne – Niger
Mais il y a plus : “suite à la crise de 2004/2005, presque 4 000 villages du Niger avaient été abandonnés par leurs habitants après avoir perdu leur production. C’est-à-dire un exode des populations de ces villages vers les villes”, se souvient Abou Moumouni.
Ce dernier explique cet exode rural par la décapitalisation des producteurs qu’avait entraînée l’invasion.
“Les producteurs, dit-il, n’ont pas autre chose que leur production. C’est le fruit de cette production qui leur permet de satisfaire leurs différents besoins et de résoudre leurs différents problèmes. Là où les criquets pèlerins passent, ils ne laissent rien !”
Alors, les producteurs, ayant perdu toutes leurs récoltes et les pâturages pour leurs bêtes, n’ont plus de capital et il ne leur reste plus qu’à aller vers les centres urbains pour chercher un petit travail afin de reconstituer leur vie en attendant la campagne agricole suivante”, explique l’intéressé
Cela dit, loin d’une nouvelle invasion de criquets pèlerins, ce sont bien des sauteriaux qui sont à l’origine du désarroi des habitants de Bani Kosseye. “Il s’agir d’acridiens sédentaires qui n’ont pas la capacité de grégariser pour former de grands essaims comme le criquet pèlerin”, décrit Idrissa Maiga.
Infestations
Pays vulnérables
Selon ses précisions, cette surveillance consiste à procéder à des traitements dès que les effectifs de criquets ont atteint un certain seuil, afin de les confiner dans ces zones grégarigènes.
Réseau d’information acridienne
Avions agricoles
“Et pour les opérations aériennes, conclut-t-il, elles sont menées lorsque les infestations atteignent plusieurs milliers d’hectares”. Pour cela, indique Moudy Mamane Sani, le Niger dispose d’une base aérienne qui exploite trois avions agricoles pour faire face aux infestations de grande envergure.
Parmi les produits susceptibles d’aider dans cette riposte, il y a “Green Muscle”, un biopesticide développé par Chris Prior et David Greathead, deux chercheurs de CABI (Centre for agriculture and biosciences international). C’était dans le cadre du programme LUBILOSA (Lutte biologique contre les locustes et les sauteriaux) qui a duré de 1989 à 2002.
Surveillance
“Les dépenses qui ont été nécessaires pour venir à bout de l’invasion de 2003 – 2005 auraient permis de couvrir 170 années de prévention”
FAO
Cet article fait partie d’une série produite en collaboration avec CABI – Centre for Agriculture and Bioscience International.
References
(1) Bulletin FAO No 459 sur le criquet pèlerin
This article was originally published on SciDev.Net. Read the original article.