Suite à la publication en Avril 2002 du rapport d’étude de scientifiques Suédois sur l’acrylamide, nous avons été le premier à souligner que l’origine de la molécule était liée aux réactions de Maillard : notre Lettre de Veille des Technologies Agroalimentaires n°2 de décembre 2002 (http://www.econovateur.com).
Cette Partie 1 fait donc l’état des lieux de ce problème en janvier 2003 avec nos Lettres de Veille 2 et 3. Un prochain article (Partie 2) fera le point sur les avancées scientifiques 7 ans après.
L’acrylamide?
L’acrylamide est un produit chimique servant à la production de polyacrylamide (polymère plastique) utilisé dans différentes applications dont le traitement de l’eau potable. Sa synthèse se ferait dans les produits riches en amidon qui sont soit frits, soit cuits au four, soit grillés (les chips, les frites et les produits céréaliers) à des températures supérieures à 120°C. Il a des propriétés cancérigène et neurotoxique. Il pourrait aussi réagir avec d’autres composants du produit alimentaire. Il est intéressant de noter qu’aucune trace d’acrylamide n’est mesurée avec les produits cuits à l’eau !
L’annonce par les médias de la publication en Avril 2002 du rapport d’étude de scientifiques Suédois et leur confirmation par les experts de la FAO/OMS et des pays riches a provoqué une panique chez certains consommateurs. Outre Atlantique certains sont allés jusqu’à menacer d’entamer des procès contre les géants du fast food pour empoisonnement ! C’est un comportement paranoïaque car la production d’acrylamide ne concerne pas que les produits industriels, mais englobe aussi les produits faits maison et la restauration : le coupable est le mode cuisson.
Nous sommes devant une situation nouvelle qui incombe plus à la responsabilité des scientifiques et des autorités sanitaires des pays. La science est-elle si en retard que ça sur les connaissances au niveau des effets thermiques sur les aliments, ou y a-t-il eu désintérêt général pour l’étude de sujets scientifiques qui ne “rapportent pas” ?
Nous pencherons plutôt vers ce dernier point car paradoxalement la voie était toute tracée depuis le début du siècle dernier. En effet, le Français Louis Camille MAILLARD découvre en 1912 “la réaction sucres-acides aminés“. Une thèse de Doctorat ès sciences physiques suivra en 1913 : “Action de la glycérine et des sucres sur les acides alpha-aminés : cyclo-glycyl-glycines et polypeptidiques; mélanoïdines et matières humiques“. Ses travaux ne se sont pas arrêtés là. Seulement voilà, Maillard n’était pas seulement en avance par rapport à son temps, il dérangeait aussi ses pairs en sciences et en médecine (car il était aussi médecin). Ses travaux sont tombés dans les oubliettes pendant près de 40 ans ! Ils ont été exhumés en quelque sorte à la fin des années 40 par des technologues confrontés aux mécanismes de brunissement et de perte de valeur nutritionnelle observée avec divers produits alimentaires.
Depuis les années 50, les domaines d’application de la réaction de Maillard s’allongent : biochimie, biologie, pathologie et technologie alimentaire. Depuis 1979 des symposia internationaux réunissant 300 à 400 personnes se tiennent sur ces thèmes (10 au total : 1979 Upsala/Suède; 1982 Las Vegas/USA; 1985 Shizuoka/Japon; 1989 Lausanne/Suisse; 1993 St Paul/ Minnesota USA; 1997 Londres/G.B.; 2001 Kumamoto/Japon; 2004 Charleston/USA; 2007 Munich/Allemagne; 2009 Cairns/Australie). Le prochain symposium se tiendra à Nancy/France en 2012. Voir le site “International Maillard Reaction Society” : http://www.imars.org/online/?page_id=107
Tout cela témoigne de la reconnaissance internationale de Maillard et de l’engouement que suscitent ses travaux scientifiques.
Tous les jours apportent une nouvelle pierre à l’édifice de cette réaction. Il ne serait donc pas surprenant que l’accusé “acrylamide” relève également de la réaction de Maillard qui, au stade avancé génère des centaines de molécules dont beaucoup ne sont pas caractérisées. La découverte de l’Ecole Suédoise en sciences et techniques alimentaires n’est pas un hasard. On lui doit déjà les avancées dans le domaine des fibres alimentaires.
Devant les préoccupations des médias et des consommateurs, l’attitude rassurante des autorités de différents pays riches face au problème de l’acrylamide cache bien mal leur démission qui, a consisté à réduire au fil des ans les budgets alloués à la recherche alimentaire en particulier à une peau de chagrin.
Le point sur l’acrylamide dans les aliments
Plusieurs workshops se sont tenus à la fin de l’année 2002 aux USA pour faire le point sur l’avancement des travaux en cours au niveau Méthodes d’analyse, Etudes de toxicologie et Mécanismes de formation de l’acrylamide dans les aliments. L’objectif principal reste à comprendre et trouver des solutions pour minimiser la production d’acrylamide.
Le point sur les acquis :
1- Facteurs précurseurs :
- source : produits d’origine végétale
- richesse en acides aminés (a.a) libres : dans le cas présent c’est l’asparagine (a.a non essentiel).
Une étude complète sur la teneur en asparagine, glutamine, acide aspartique et acide glutamique de différents produits alimentaires a été présentée par Elmore et Mottram.
Exemple : pour la pomme de terre l’asparagine représente 40% du total des a.a libres, contre 14% pour le blé et 18% pour le seigle.
- teneur en sucres libres élevée (glucose, fructose, ribose)
- dicarbonyls résultant des stades avancés des réactions de Maillard.
- Humidité : conditions restent à préciser sur la base de l’activité de l’eau (aw ou eau libre).
- pH : alcalinité accélère la réaction.
- surface de produit élevée (chips…)
2- Conditions technologiques :
- Température
- Temps
3- Mécanismes :
Comme nous le laissions prévoir dans notre Newsletter 2, la voie des réactions de Maillard se précise pour la formation d’acrylamide sur des modèles.
- voie prédominante : réaction entre l’asparagine et des sucres réducteurs sous forme libre. D’autres acides aminés comme la méthionine pourraient être impliqués dans cette voie.
- voie secondaire : à un stade avancé de la réaction de Maillard, des composés carbonyles (composés dits d’Amadori) réagiraient avec les a.a libres via la dégradation dite de Strecker.
Une présentation du sujet est disponible (format PowerPoint) en 32 diapositives :
http://www.cfsan.fda.gov/~dms/acryjack/acryjack.ppt
4- Exemples avec des pommes de terre frites :
Variation de la température :
Température | 160°C / 4 min | 170°C / 4 min | 180°C / 4 min |
Acrylamide | 27 ppb | 70 ppb | 326 ppb |
Variation du temps :
Temps | 180°C / 3,5 min | 180°C / 4 min | 180°C / 4,5 min | 180°C / 5 min |
Acrylamide | 12 ppb | 46 ppb | 227 ppb | 973 ppb |
5- Recherche de solutions pour réduire la production d’acrylamide :
- Utilisation de l’asparaginase, enzyme qui convertit l’asparagine en acide aspartique dans le modèle pomme de terre : réduction de l’asparagine de 95% et de l’acrylamide de 99%.
- Utilisation de composants réducteurs tels que le bisulfite de sodium, la cystéine et le glutathion pour les pâtisseries. Très peu d’effets sur la production d’acrylamide.
Conclusion :
Il reste à valider les résultats actuels sur des produits en conditions de production industrielle.
Les données de cinétique de réaction font partie des axes de travail définis, en vue d’avancer dans la recherche de solutions efficaces pour réduire la formation d’acrylamide.
-Bakri Assoumani-
Références :
Livre : Louis Camille Maillard. De la médecine à l’alimentation. Jean Adrian. 1999.Technique & Documentation. Paris.
Liens et articles en français :
Acrylamide et Aliments :
http://www.hc-sc.gc.ca/food-aliment/cs-ipc/chha-edpcs/f_acrylamide_and_food.html
À propos de l’acrylamide :
http://www.bag.admin.ch/verbrau/aktuell/f/Q&A_Acrylamide_F.pdf
Acrylamide, point d’information :
http://www.afssa.fr/ftp/basedoc/acrylamide-resume-du-24-juillet.pdf
Les conséquences de la présence d’acrylamide dans les aliments :
http://www.ania.net/espace/positions/positions_pdf/071702_acrylamide internet.pdf
Communiqué de presse : acrylamide : l’industrie alimentaire mobilisée :
http://www.ania.net/espace/communiques/communiques_pdf/020925_CP Acrylamide.pdf
Acrylamide in Food Workshop: Scientific Issues, Uncertainties, and Research Strategies
http://www.jifsan.umd.edu/Acrylamide/acrylamide_workshop.html
Subcommittee Meeting
Formation of Acrylamide in Food
December 4-5, 2002
http://www.cfsan.fda.gov/~dms/acryjack.html
La FDA a publié les derniers résultats d’analyse exploratoire de différents produits alimentaires le
4/12/2002 : Exploratory Data on Acrylamide in Foods
http://www.cfsan.fda.gov/~dms/acrydata.html