La montée du bio-terrorisme avec l’attaque à l’anthrax (bacille du charbon) sur le sol américain vient réveiller en nous l’histoire douloureuse des maladies tueuses (peste, variole…) et la peur ancestrale du microbe.
Partout, des mesures “d’éradication” se mettent en place, et les antibiotiques sont avancés comme étant l’arme suprême pour combattre certains de ces fléaux.
Cependant ces mesures radicales font l’impasse sur une interrogation de fond : les micro-organismes sont-ils vraiment nos ennemis ? Quels rôles jouent-ils vraiment ?
Des antibiotiques à la biotechnologie : la guerre totale contre les microbes est déclarée
Jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, les armes disponibles pour lutter contre les micro-organismes (bactéries, moisissures, levures, virus) étaient pour la plupart de vénérables ancêtres qui avaient largement fait leurs preuves dans le temps et se limitaient à l’utilisation de :
- Chaleur : appertisation (1810), autoclavage (1880) et pasteurisation (1886).
- Désinfectants chimiques et antiseptiques : eau de Javel (1744), dérivés chlorés (1842, 1906), composés à base d’ammonium quaternaire (1917), formaldéhyde (1886), Iodophores (1949), oxyde d’éthylène (1936), etc.
Mais ces techniques trouvèrent leurs limites face aux septicémies, aux pneumonies, etc. C’est alors que les antibiotiques firent leur apparition avec Flemming, en même temps que la biologie moléculaire faisait un bond en avant fantastique avec la découverte de la structure de l’ADN en 1953, et nous entraînait vers l’ère biotechnologique.
Très vite, les antibiotiques remportèrent des victoires éclatantes sur le plan médical… et économique : la médecine est devenue un «business» très lucratif, surtout en France avec le poids des lobbys pharmaceutiques. Par exemple, dans l’élevage industriel, les antibiotiques, en plus de guérir, accélèrent aussi la prise de poids des animaux (facteur de croissance).
Cependant, leur utilisation abusive entraîna des effets dévastateurs sur la flore bactérienne, dans la mesure où il ne s’exerce aucune différence entre les bactéries pathogènes et les bonnes bactéries ! Cette médecine « au canon lourd » eut des conséquences imprévues.
Quand les micro-organismes font de la résistance
Dans le milieu hospitalier des pays industrialisés, l’actualité a rapporté ces dernières années la fermeture de pièces techniques contaminées par des souches de Staphylococcus aureus, qui résistent à tous les antibiotiques, à l’exception de la Vancomycine.
Cette exception était malheureusement temporaire. Cet antibiotique générait un nouveau résistant : les entérocoques !
Les bactéries se transférant facilement entre elles les gènes de résistance, ce n’est plus qu’une question de temps avant que les entérocoques ne “fassent cadeau” aux staphylocoques de leur forme de résistance à la Vancomycine…
En Europe, la Vancomycine est peu utilisée dans les hôpitaux. Mais les fermiers ont utilisé une molécule analogue, “l’Avoparcine” comme facteur de croissance. Ce produit a été interdit au Danemark en 1995, en Allemagne en 1996 et dans l’Union Européenne en 1997. Mais le mal était déjà fait : l’antibiorésistance s’est installée durablement dans la chaîne alimentaire.
Ceci pose un problème très grave car la recherche pharmaceutique sur des nouvelles molécules a pris beaucoup de retard. Une menace sérieuse plane donc sur nos têtes avec le risque d’extension de cette résistance, favorisée par l’abus d’antibiotiques en thérapie.
Amis plus qu’ennemis
Les micro-organismes sont partout ; ce sont en réalité les véritables colonisateurs de la planète, d’où l’importance de l’écologie microbienne.
Nous leur devons la fixation biologique de l’azote soit par association à des plantes, soit à l’état libre dans le sol. C’est le deuxième grand phénomène biologique à la base du développement du monde vivant avec la photosynthèse. (1)
L’homme lui-même n’échappe pas à leur action. Dès la naissance, chez les bébés nourris au sein, plus de 80 % de la flore fécale est composée des espèces Bifidobactérium. (2)
On doit cette sélection à la composition du colostrum, le premier lait qu’une mère produit pour son nouveau né (seulement pendant les 2 à 3 premiers jours d’allaitement).
Il comprend un grand nombre d’anticorps jouant un rôle important dans la cavité buccale et le tube digestif, avec un large spectre de protection contre différents agents infectieux : Rota virus, E.Coli, Candida albicans, mutants du Streptocoque et Clostridia.
Dans le gros intestin de l’homme, on estime à près de 10 milliards le nombre de bactéries/g de contenu, bactéries appartenant à plus de 400 espèces différentes. Le rapport entre les bactéries du colon et le nombre de cellules du corps humain serait de 10 contre 1 ! On peut distinguer les principaux groupes suivants : Lactobacilles, Bifidobactéries, Streptocoques, Bactéroides, Coliformes.
Ces groupes sont considérés comme les “bons”, jouant le rôle de barrière de protection contre les “méchants = pathogènes” comme les Staphylocoques, les Salmonelles et les Colibacilles.
L’abus d’antibiotiques favorise les “méchants”, mieux armés et déstabilise l’équilibre de l’écosystème local.
On sait dorénavant que les animaux de laboratoire élevés en l’absence de bactéries (germ free) sont plus sujets aux infections et ont un système immunitaire très faible. Ceci démontre si besoin est, l’importance des bactéries dans notre organisme.
Parallèlement à cette colonisation du tube digestif, plusieurs centaines d’espèces bactériennes coexistent avec nous, sur la peau, dans la bouche, etc. Notre système immunitaire nous protège cependant à ces niveaux.
Une cohabitation ancestrale des micro-organismes et de l’homme
L’utilisation empirique et «pacifique» des micro-organismes pour transformer les aliments par la fermentation remonte à plusieurs siècles sur l’ensemble des continents, et apporte plusieurs avantages majeurs : destruction de composants toxiques, enrichissement en protéines et vitamines, production de composants antibactériens, stabilité contre la chaleur.
Il est d’ailleurs surprenant de constater une espèce de sagesse populaire globale, partagée par tous les peuples anciens pour cette tradition des produits fermentés. Mentionnons quelques exemples :
- Asie orientale : utilisation de soja et de moisissures avec souvent l’association de céréales, de bactéries et levures. Produits dérivés : sauces de soja, miso et tempé.
- Asie centrale, Proche Orient et Afrique : produits acides préparés par fermentation avec des bactéries et levures de céréales telles que mil, sorgho, maïs et blé.
- Afrique : citons le “gari” (Afrique de l’Ouest, Nigéria) obtenu à partir du manioc (couvre 60% des besoins caloriques journaliers) par rouissage pour éliminer un composant hautement toxique, l’acide cyanhydrique.
- Europe centrale (Balkans) : production séculaire du fameux “yaourt bulgare” obtenu par fermentation avec Lactobacillus Bulgaricus. Plusieurs études ont été menées pour mesurer les effets de sa consommation régulière. Les résultats ont permis à Metchnikoff d’avancer en 1907 l’idée que la consommation des laits fermentés peut avoir un effet favorable sur la santé et constituer une «bactériothérapie lactique».
Après ces fermentations dites “traditionnelles”, on peut bien sûr ajouter tous les pôles liés aux biotechnologies :
- Production de protéines d’organismes unicellulaires comme les levures à partir de sous-produits industriels (mélasses, jus lactosés).
- Production d’enzymes et d’outils de diagnostic pour les applications industrielles et biomédicales.
- Production de nouvelles générations de médicaments (anticorps monoclonaux, vaccins…)
- Production de biocarburants par fermentation (méthanol…)
– Traitements des rejets urbains et industriels : sélection de souches à spectre large comme certains Pseudomonas qui peuvent dégrader un grand nombre de molécules d’hydrocarbures ou des composés aromatiques souvent très toxiques (benzène, toluène, xylène, phénol).
Précisons que tous ces développements biotechnologiques n’ont rien en commun avec les OGM et vont dans le bon sens. Cependant, pour la production de médicaments avec ces nouvelles méthodes, il nous faut rester vigilant, avec le plein respect des codes d’éthique, interdisant les manipulations à risque.
Conclusion
Les exemples ci-dessus montrent combien l’homme dépend des micro-organismes (moisissures, levures et bactéries) pour se nourrir, se soigner et traiter ses déchets. Les accidents de cohabitation sont liés, soit à ses erreurs de jugement, soit à des virus.
Les micro-organismes restent donc des alliés plus que des ennemis, malgré l’existence en leur sein de déviants (souches pathogènes ou toxinogènes). Chercher à les éradiquer serait du reste une mission impossible tant leur capacité d’adaptation est sans limites.
L’idéal des recherches à ce sujet serait donc de trouver les moyens de cohabiter intelligemment en continuant à mieux connaître nos alliés microscopiques et, en évitant de jouer aux apprentis sorciers avec des manipulations génétiques dangereuses.
Un exemple de cohabitation idéale a fait jour avec le concept des probiotiques : la consommation de ces laits fermentés peut avoir un effet favorable sur la santé et constituer une «bactériothérapie lactique» au niveau du tube digestif.
Dans notre prochain volet, nous aborderons cette approche prometteuse, symbole d’une ère nouvelle qui voit la reconciliation entre les hommes et les microbes.
-Bakri Assoumani-
Annexe
(1) La fixation biologique de l’azote est estimée à près de 200 millions de tonnes par an (plus de 2 fois la production d’engrais azoté par synthèse industrielle !).
(2) Les 10% restant comprennent des coliformes, entérocoques, lactobacilles aérobies et des staphylocoques.
En savoir plus
Infections nosocomiales : http://www.inserm.fr/thematiques/microbiologie-et-maladies-infectieuses/dossiers-d-information/infections-nosocomiales