Végétaux et bactéries : l’alliance rompue. 15 janvier 2002.

Le terme « Malbouffe » est aujourd’hui devenu tristement populaire. À juste titre. L’alimentation de type Occidental entraîne obésité, maladies cardio-vasculaires, cancers du colon. Le raffinage excessif des aliments, principal coupable, a rompu ainsi le pacte séculaire des microbes et des végétaux.

Le virage fatal des changements d’habitude alimentaire

Après la deuxième guerre mondiale, l’industrie agro-alimentaire occidentale, avec à sa tête le modèle américain s’est lancée dans une production massive de produits alimentaires fortement raffinés. Les préoccupations nutritionnelles n’étaient pas alors le souci premier : la société de consommation triomphante pouvait enfin remplir à bas prix le panier de la ménagère, et offrir ainsi une alimentation jusqu’alors réservée aux couches aisées de la population – sucre blanc, pain blanc, viande, œufs– la production d’aliments raffinés étant plus économique. La boîte de Pandore des maladies nutritionnelles venait de s’ouvrir.

Aujourd’hui la malbouffe signifie caries dentaires, obésité, diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, cancers du colon, etc. Chaque pays dispose de ses statistiques alarmantes, la palme revenant aux USA.

La prise de consciences scientifique des grands équilibres alimentaires

Heureusement, les recherches en nutrition s’orientent aujourd’hui sur les relations entre les modes alimentaires et la santé : la science, réalise et démontre que le retour à un mode traditionnel d’alimentation – produits végétaux, céréales complètes et produits fermentés – permet d’éviter l’apparition des maladies d’origines alimentaires.

De l’importance des produits végétaux et des céréales complètes

La consommation d’une quantité suffisante de fibre alimentaire est désormais reconnue pour apporter une protection contre un grand nombre des maladies chroniques citées plus haut. Les fibres de céréales sont particulièrement efficaces (avoine, orge et riz).

Les produits végétaux (fruits, légumes, graines et noyaux) en contiennent aussi des quantités non négligeables. Avec les céréales, ils apportent aussi des éléments vitaux comme les vitamines, les antioxydants…

La fibre alimentaire est constituée de polysaccharides (sucres complexes), de lignine et de substances associées résistant à l’action des enzymes digestives de l’estomac et de l’intestin grêle (1). Elle joue un rôle biologique essentiel, de par sa composition et ses propriétés physico-chimiques.

Ces propriétés sont :

mécaniques (fibres insolubles) :

  • réduction de la constipation par la diminution du temps de transit et l’augmentation du poids des fèces

physiologiques (fibres solubles) :

  • contrôle de la glycémie (glucose sanguin)
  • réduction des calculs biliaires
  • Protection du colon contre le cancer (production d’acides gras à chaîne courte)

La flore bactérienne : quand les microbes vivent en société

La colonisation du tube digestif commence à la naissance avec la première tétée. Le type d’aliment fourni dès ce stade favorise la nature des bactéries colonisatrices ainsi que leurs effets sur la santé en général.

On sait ainsi que les bébés nourris au sein sont moins affectés par des problèmes gastro-intestinaux car l’essentiel de leur flore intestinale est composée des espèces Bifidobactérium qui les protègent des infections.

A l’inverse, ceux nourris au biberon possèdent une flore disparate se rapprochant de celle de l’adulte (clostridies, bactéroïdes, bifidobactéries et streptocoques), qui consomme des produits plus complexes (2).

L’alliance séculaire végétaux-microbes

Le gros intestin ou colon, héberge près de 10 milliards de bactéries/g de contenu, appartenant à plus de 400 espèces différentes (lactobacilles, bifidobactéries, streptocoques, bactéroïdes, coliformes, etc.).

Cette flore, pour remplir correctement ses fonctions digestives (fermentations) doit être constituée de bactéries bénéfiques formant en quelque sorte une « société » équilibrée, occupant le terrain disponible, et apte à empêcher la prolifération des bactéries pathogènes (production de substances inhibitrices et maintient de pH bas).

Une alimentation trop riche en protéines animales (viande, poisson, etc.), en graisses, et pauvre en produits végétaux ou céréales complètes favorisera la multiplication de bactéries pathogènes. Elle contribuera alors à l’apparition possible d’une constipation chronique. Celle-ci installera un cercle vicieux en accroissant l’importance d’espèces nuisibles telle que Clostridium perfringens dans le colon.

La fibre alimentaire joue un rôle clé à ce niveau en servant de facteur de croissance sélectif du genre de bactérie dans un processus appelé “fermentation”, crucial pour une bonne digestion alimentaire. (3)

Conclusion

Depuis les années 70 les connaissances scientifiques sur les fibres et leur effets sur la santé – notamment leur rôle important sur la flore bactérienne – progressent à pas de géant.

Les résultats condamnent la malbouffe moderne. Il est temps de commencer à sérieusement remettre en cause nos mauvaises habitudes alimentaires pour, enfin, accorder plus de place aux produits végétaux et céréales complètes, et respecter ainsi les grandes lois écologiques des équilibres nutritionnels. (4)

-Bakri Assoumani-


Annexe

 

(1) Généralement on distingue les fibres solubles dans l’eau (pectines, gommes, psyllium, inuline, fructo-oligosaccharides) et insolubles dans l’eau (cellulose, hémicellulose et lignine).

Les doses conseillées sont de l’ordre de 25 g par jour. La réalité se situerait aux alentours de 10 g.

Les exemples ci-dessous permettent de s’en faire une idée générale :

Produits avec leur teneur en fibres solubles et insolubles (%) :

  • Pomme : 9,2 / 4,7
  • Pain blanc : 2,0 / 6,0
  • Pain complet : 2,4 / 9,5
  • Son d’avoine : 10,3 / 4,2
  • Son de blé : 37,3 / 10,4
  • Riz : 1,5 / 0,0

Les fibres solubles sont connues pour leurs effets positifs sur la réduction du cholestérol.

Produits végétaux contenant une catégorie particulière de fibres solubles appelés inuline :

  • Artichaut : 2 à 10%
  • Asperge : 1 à 30%
  • Chicorée : 15 à 20%
  • Ail : 9 à 16%
  • Topinambour : 16 à 20%
  • Salsifis : 4 à 11%
  • Blé : 1 à 6%

La chicorée fait l’objet d’une exploitation industrielle pour l’extraction de l’inuline (famille des fructanes car riches en fructose) qui est utilisée comme ingrédient alimentaire. Il a été montré que l’inuline améliore de façon significative la biodisponibilité du calcium, élément important pour la prévention de l’ostéoporose.

Du sucre de betterave, l’industrie produit aussi des fibres solubles (fructo-oligosaccharides) par greffage au sucre de 1 à 3 molécules de fructose.

(2) Cette différence s’explique essentiellement par le fait que le lait maternel possède des facteurs de croissance du bifidus : les oligosaccharides (sucres complexes). Ces derniers favorisent la multiplication et l’adhésion des bifidus aux cellules épithéliales de l’intestin (paroi) empêchant ainsi le développement des bactéries pathogènes.

(3) Il existe deux types principaux de fermentation bactérienne dans le colon faisant appel à deux groupes différents de bactéries :

  1. fermentation des sucres complexes (début du colon) : production d’acide lactique et surtout d’acides dits “acides gras volatils” (AGV) à chaîne courte (acétate, propionate et butyrate). Ce sont ces AGV qui maintiennent un pH bas et protègent les cellules de la muqueuse du gros intestin. L’acide butyrique quant à lui protège du cancer du colon. Les fibres solubles décrites plus haut telles que l’inuline, les fructo-oligosaccharides stimulent la croissance des bifidobactéries de façon spécifique.
  2. fermentation des protéines (fin du colon) : production de composants toxiques (produits phénoliques, amines, ammoniac …). Leur excès est nuisible à la santé du colon d’autant que le transit est ralenti, ce qui augmente le temps de contact avec la paroi du colon.

(4) Ne pas oublier que les produits végétaux sont aussi notre principale source de vitamines et d’antioxydants dont le rôle n’est sans doute pas négligeable dans certains des effets préventifs observés.

En savoir plus

Probiotics and prebiotics: microflora management for improved gut health– Roy Fuller and Glenn R.Gibson

Dietary Fiber – A Report by the American Council on Science and Health – December 1996

Vers des bactéries médicaments ?

Un livre : “Dietary fiber analysis and applications” C.Cho, J.W.Devries, and L.Prosky  AOAC INTERNATIONAL – USA – 1997