Un constat : en France, on meurt moins de maladies cardio-vasculaires qu’aux États-Unis, en consommant autant, sinon plus de matières grasses. L’idée fut très vite avancée que la consommation modérée et régulière de vin rouge serait à l’origine de ce paradoxe.
Mais deux acteurs essentiels et méconnus viennent remettre en cause ce quasi-dogme : les produits végétaux et les habitudes alimentaires.
Les vertus supposées du vin
L’explication communément admise pour ce paradoxe repose sur les propriétés particulières du vin : plusieurs études ont démontré que le vin rouge est antioxydant, antiagrégant plaquettaire, anti-inflammatoire, vasodilatateur. Il inhibe la prolifération cellulaire, et protégerait également l’oxyde nitrique, élément clé de la fluidification du sang.
Dès lors on peut comprendre l’euphorie de toute une profession qui a trouvé dans ces recherches un allié inattendu de poids.
Cependant, d’autres recherches scientifiques récentes, ont montré que le vin rouge, avec ou sans alcool, augmente aussi le temps de saignement, réduit l’adhésion des plaquettes sanguines et le poids des thromboses.
Ces effets pourraient être expliqués par le resvératrol (famille des flavonoïdes ) du raisin rouge libéré par le processus de fermentation du vin. (1).
L’ère du doute
La différence de sensibilité entre l’homme et la femme au sujet du vin doit aussi être signalée : certaines études suggèrent en effet que, chez la femme, la consommation de vin augmenterait le risque de développer un cancer du sein. L’alcool du vin accroît les niveaux œstrogène qui peuvent à leur tour stimuler les tumeurs sensibles aux hormones.
Moralité : les femmes à risque de cancer du sein devraient choisir une autre boisson !
Notre assiette livre ses secrets
L’opposition d’un modèle méditerranéen (France) à un modèle anglo-saxon (USA) est certes intéressante en soit, mais on savait dès le départ qu’on comparait 2 modèles tout à fait opposés tant au point de vue des habitudes alimentaires que des modes de vie.
Cette évidence s’imposa peu à peu, et il devint de plus en plus risqué de chercher à tout expliquer par la seule consommation modérée et régulière de vin rouge ! Plusieurs études récentes ont aussi permis de découvrir de nouvelles voies de recherche très prometteuses, qui mettent en avant :
- La nécessité de réviser nos connaissances sur la nature et les effets des produits végétaux consommés.
- Nous ne sommes pas égaux devant certaines maladies, selon nos habitudes alimentaires et nos modes de vie.
On sait dorénavant que plusieurs facteurs sont impliqués dans les maladies cardio-vasculaires : alimentation, activité physique, mode de vie sociale, environnement, etc.
L’alimentation joue un rôle très important sur notre santé, et en particulier les antioxydants apportés par les fruits et les végétaux en général.
Cependant, nous avons encore beaucoup de chemin à faire en matière d’études, pour mieux connaître nos aliments et nos boissons.
Par exemple, des études épidémiologiques européennes ont montré que l’Europe du nord est plus sujette aux maladies cardio-vasculaires – tout comme le nord de la France – comparé au sud. L’alimentation de type méditerranéen est la principale cause expliquant ces différences, suivie par les modes de vie.
Sur un autre plan, une étude menée au Royaume Uni (Cambridge Heart Antioxidant Study ou CHAOS) a montré le rôle prépondérant de la vitamine E sur la prévention des maladies cardio-vasculaires.
À la recherche des régimes alimentaires souhaitables
A un moment où la globalisation est le refrain à la mode, il convient tout autant de considérer ce problème du “French paradox” dans le contexte international, avec les données de l’OMS pour nous aider à mieux cerner les régimes alimentaires souhaitables.
En 1997 les maladies du système circulatoire ont été la principale cause de mortalité au monde : 26 % à 63 % des décès chez les hommes et 31% à 70% chez les femmes. Les pays les moins affectés étaient le Japon, suivi par la France et le Canada.
En terme d’espérance de vie, les nouvelles données, avec l’introduction de “l’espérance de vie corrigée de l’incapacité” (HALE ou Health-Adjusted Life Expectancy), autrement dit les années de vie de pleine santé sont très instructives : le Japon arrive en tête de ce nouveau critère de classement qui s’établit comme suit en nombre d’années :
- 1 – Japon : 74.5
- 2 – Australie : 73.2
- 3 – France : 73.1
- 4 – Suède : 73.0
- 5 – Espagne : 72.8
- 6 – Italie : 72.7
- 7 – Grèce : 72.5
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- 24 – USA : 70
Aux USA on y meurt plus jeune avec un handicap à la fin de la vie (2). La position de la France s’explique par la santé des femmes qui tirent vers le haut la moyenne nationale (3).
On notera la bonne place des pays méditerranéens qui montre que les habitudes alimentaires de cette région sont non seulement à conserver, mais aussi à améliorer par des programmes nutritionnels volontaires.
Les légumes, aliments de riches ?
Notons qu’il n’y a pas égalité entre les riches et les pauvres devant la santé.
En France, une étude économique de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) montre que la consommation de légumes et de fruits frais croît rapidement, dès 763 Euros de revenus par personne et par mois. A l’inverse la consommation de corps gras diminue avec un revenu et un niveau éducatif élevés.
Sur le plan de la mortalité infantile, les données des Nations Unies (Demographic year book 2001) indiquent la hiérarchie suivante pour la mortalité infantile en-dessous d’un an (pour 1000 naissances) :
- 1 – Hong Kong : 3,1
- 2 – Suède et Suisse : 3,4
- 3 – Singapour : 3,5
- 4 – Japon : 3,6
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- 10 – France : 4,8
Globalement le Japon est le pays qui a le taux de mortalité le plus faible, et la meilleure espérance de vie au monde.
Japon : une grande sagesse menacée
Si nous examinons le régime alimentaire japonais, nous constatons qu’il est, comme son homologue méditerranéen, très diversifié. Voici ses caractéristiques :
- faible consommation de corps gras saturés
- prépondérance du poisson
- faible consommation de viande
- forte consommation de fruits, légumes, légumineuses et céréales
- forte consommation de thé vert
Mais le Japon ne s’est pas satisfait de sa position, et très tôt, une politique très volontariste a été définie pour faire face à une occidentalisation de l’alimentation.
La malbouffe gagne malheureusement aussi ce pays. Elle soulève de sérieuses alarmes au Ministère de la Santé. On note ainsi par exemple qu’en l’espace de 4 ans (1993 à 1997), le nombre de Mac Do est passé de 1043 à 2439 ! Parallèlement la consommation de tofu, de produits de la mer et de produits végétaux a chuté de façon inquiétante. Il en a été de même de l’activité physique.
Conséquence : 1 jeune sur 3 de l’âge de 30 ans a dorénavant un excès de poids.
Conclusion
Le “French paradox” continue encore à fasciner les marchands de rêve et de pilules d’extraits miracles en remplacement de régimes alimentaires équilibrés.
Cette quête a eu cependant le mérite d’amener des spécialistes de différentes disciplines à se pencher plus sur l’identification et l’association de composants alimentaires qui ont des effets bénéfiques à long terme sur la santé (fibres alimentaires, probiotiques, antioxydants, micro éléments minéraux, acides gras essentiels, etc).
Finalement, la science donne raison au bon sens et à la tradition culinaire des peuples qui ont su nous léguer un héritage alimentaire cohérent. A nous d’avoir la sagesse de le préserver et de l’enrichir.
-Bakri Assoumani-
Annexe
(1) Signalons que les flavonoïdes, qui sont des antioxydants, et appartiennent à la famille des composants phénoliques, ne se trouvent pas que dans le vin rouge : on les trouve aussi à travers les plantes, dans une cinquantaine d’aliments et de boissons courantes (fruits, végétaux, boissons dont le thé vert).
(2) L’OMS explique cette position contradictoire par rapport aux autres pays industrialisés par :
- existence au sein des USA d’une frange de la population assimilable à celle d’un pays du Tiers Monde.
- Impact du SIDA plus important
- Taux élevés de cancers liés à la consommation de tabac
- Taux élevés de maladies cardio-vasculaires
- Niveaux élevés de violence se terminant par des homicides.
(3) Il semble cependant que cette situation va subir dans les 10-20 prochaines années une évolution similaire à celle des hommes. En effet, une frange importante de la nouvelle génération féminine fume, ce qui accroît le risque de cancers du poumon.
En savoir plus
– Consommation alimentaire en France : la qualité nutritionnelle des produits devient un enjeu majeur
– Un article : Western Food in Japan
– Stephens, N., Parsons, A., Schofield, P., et al., “Randomized Control Trial of Vitamin E in Patients with Coronary Disease : Cambridge Heart Antioxidant Study (CHAOS),” Lancet 1996, 347:781-861.
– Livre : Lester Packer and Carol Colman, “The antioxidant miracle”. 1999 – John Wiley & Sons, Inc. New York
– Rapport sur la santé dans le monde 2000 – Pour un système de santé plus performant. Publié par l’Organisation mondiale de la Santé, Genève, Suisse.