De nos jours, à en croire les indications nutritionnelles portées sur les emballages alimentaires, la valeur alimentaire d’un aliment se chiffre surtout en calorie.
Il suffit de regarder la valeur calorique d’un aliment, de ne pas dépasser la dose journalière recommandée par rapport à son poids, taille, etc., et voilà ! Chacun peut voir arriver l’été avec sérénité. En oubliant que les vrais problèmes commencent…
Qu’est-ce qu’une calorie ?
Selon l’OMS (1996) les besoins énergétiques d’une personne sont définis comme étant « la quantité d’énergie nécessaire pour compenser les dépenses, et assurer une taille et une composition corporelle compatibles avec le maintien à long terme d’une bonne santé, et d’une activité physique adaptée au contexte économique et social ».
Notre corps est en effet un organisme vivant qui a besoin, comme une machine, d’énergie pour fonctionner. Mais comment mesurer et quantifier cette énergie ? La « balance énergétique » est un concept de mesure éprouvé qui permet de calculer précisément les besoins du corps en énergie. (1)
La mission fondamentale de nos aliments (avec l’entretien général de l’organisme) est de fournir à notre corps les quantités d’énergies nécessaires à son bon fonctionnement. Là aussi, la détermination de l’énergie qu’ils renferment peut s’effectuer en théorie d’une façon très précise. L’unité de mesure utilisée pour cela est la Calorie ou grande calorie (2)
Notons que seuls les glucides et les lipides sont classés comme nutriments énergétiques, les protéines servant en premier pour la charpente musculaire et la production d’enzymes et d’autres molécules biologiques. Quant aux vitamines, oligo-éléments, etc., ils sont indispensables au bon fonctionnement général de l’organisme, et participent à de nombreuses fonctions : croissance, entretien, équilibres divers, régulation de différents mécanismes.
En théorie, il suffirait donc de connaître simplement nos besoins en énergie (donc en calories), et d’acheter tous nos aliments préférés en veillant seulement à ce que leur valeur calorique ne dépasse pas nos besoins journaliers. Notons que la valeur calorique d’un aliment est très souvent aujourd’hui, sur les emballages, l’information nutritionnelle la mieux mise en avant, surtout sur les produits dits diététiques, de régime, de santé, ou de forme.
Seulement voilà, cette simplification nutritionnelle masque une réalité autrement plus complexe. Cette mesure, appliquée telle quelle apporte beaucoup plus de problèmes, d’excès et de mauvaises habitudes, qu’elle n’apporte de solutions.
Quand les processus métaboliques de digestion compliquent la quantification énergétique de l’aliment
Pour que l’organisme puisse utiliser l’énergie provenant des aliments, plusieurs étapes complexes concourent à leur digestion dans le tube digestif, toutes à 37° C :
- chimiques (pH ou niveau d’acidité ou d’alcalinité)
- mécaniques (motricité stomacale et intestinale)
- enzymatiques (« ciseaux biologiques » doués de reconnaissance)
Les enzymes notamment permettent de libérer les nutriments prêts à être absorbés. Mais nous ne sommes pas nés égaux en terme d’équipements enzymatiques. Ainsi, par exemple, près de 80 % des non Caucasiens (Asiatiques et Noirs) présentent une intolérance au sucre du lait (le lactose), leur organisme ne produisant pas assez ou pas du tout la lactase, l’enzyme capable d’hydrolyser ce sucre. Conséquence, la consommation de produits laitiers non fermentés ne permettra pas l’utilisation de l’énergie du lactose, et causera des problèmes de flatulence voire de diarrhée.
Un autre problème souvent méconnu : avec l’âge, chez les Caucasiens la production de lactase va malheureusement diminuer pour beaucoup de personnes.
Notons que de nos jours, peu de gens pratiquent une mastication correcte des aliments. Ce qui est regrettable : le processus digestif s’en trouve compliqué et ralenti, avec pour conséquence une moindre extraction du potentiel calorique de l’aliment.
Tous ces éléments contribuent très sensiblement à écorner la belle rigueur scientifique des tables de mesure caloriques alimentaire, et à compliquer singulièrement leur utilisation pratique.
Raffinage des aliments = garanties de calories maximales
Un autre point important joue contre une simplification abusive de la mesure calorique d’un aliment : le raffinage actuel – suppression des fibres alimentaires – de la quasi-totalité des produits alimentaires (pâtes, riz, sucre, etc.).
En effet, la présence de fibres dans un produit apporte un effet « de barrière » plus ou moins prononcé à la digestion, donc à la libération de l’énergie maximale. Prenons par exemple le pain : les propriétés physiques du pain blanc sont complètement différentes de celles du pain entier. La présence des fibres alimentaires dans ce dernier joue deux rôles clés, très souvent ignorés ou négligés des industriels et nutritionnistes classiques :
- temps de transit dans le tube digestif plus court ;
- effet de barrière pour limiter la digestion enzymatique de l’amidon, ce qui est un facteur favorable pour les diabétiques par exemple.
Au final, la digestion et l’absorption du pain complet fournit moins d’énergie que le pain blanc, mais la fraction non digérée ira nourrir la flore bactérienne intestinale dans le gros intestin. Le pain blanc lui, fournira plus d’énergie, mais contribuera notamment peu à la santé de la flore bactérienne.
Pour compliquer encore un peu plus le problème
Les apports recommandés caloriques sont censés nous fournir un cadre qui détermine nos besoins caloriques suivant des critères simples à déterminer :
– Chez l’adulte âgé de 20-40 ans et dans le cadre des activités habituelles pour la majorité de la population, les apports journaliers conseillés en énergie en France sont de 2200 kcal pour les femmes et de 2700 kcal pour les hommes. Ces apports sont couverts par les glucides (50 à 55 %), les lipides (30 à 35 %) et les protéines (11-15%).
Mais le corps humain n’est pas un moteur à explosion qui fonctionnerait à haute température de façon simple. Chacun de nous est un modèle biologique très complexe et unique, selon son hérédité, son environnement, son âge, son sexe, sa taille, son poids, ses activités physiques, ses préférences alimentaires, son hygiène de vie, et même son caractère (il est connu que les gens nerveux sont rarement obèses…). Tout ceci ne peut pas se mettre en équation mathématique.
On ne peut que travailler dans des limites données jouant le rôle de filet de secours. C’est ce qui explique que, même à l’intérieur de ces catégories, d’âges, de sexe, etc., des variations sensibles des besoins caloriques peuvent être constatées suivant la physiologie et le caractère de chacun. Ces différences en besoins caloriques peuvent s’éloigner de 10, 20 % ou plus par rapport aux indices officiels.
En bref, chacun possède son propre moteur biologique, des caractéristiques génétiques et une « signature psychologique » uniques. Nous n’avons pas les mêmes rendements énergétiques, ce qui explique que dans les mêmes conditions de vie, et d’alimentation, certains grossissent et d’autres pas.
Pourquoi « Miss calorie » est-elle devenue une star ?
La mesure calorique d’un aliment est une donnée diététique privilégiée par les industriels de l’agro-alimentaire pour la facilité de communication et de fabrication qu’elle offre : il est en effet bien plus facile et moins onéreux de commercialiser un produit dit diététique, de régime, sain, de santé, etc., sur ce genre de critère. Communiquer sur des critères nutritionnels simples comme les calories, glucides, lipides avec un cocktail judicieux de vitamines, offre donc pour l’industriel les avantages suivants :
- Facilité de communication : comment résister à la sensation de disposer d’un plat complet « clé en main » nous déchargeant de nos angoisses de poids, ou de pouvoir contrôler son poids en mangeant à toute heure des aliments « gourmands » allégés, et pauvres en calories ? Nous ne sommes pas loin ici de la stratégie commerciale du « snacking » (grignotage) chère aux industriels et spécialistes du marketing. Le but avoué étant l’instauration de nouveaux « relais de croissance alimentaires » en dehors des repas habituels – le consommateur étant depuis longtemps pour ces derniers arrivé à ses limites naturelles de consommation. Une bonne part du marché des aliments « diététiques » réside en effet dans la vente de barres « coupe-faim » et d’aliments de « conforts » (biscuits ), prétendument sans risque pour la prise de poids.
- Coût de fabrication : il revient bien moins cher de réunir dans une barre, un plat préparé, potage déshydraté, biscuit, etc., des aliments raffinés de qualité moyenne – avec, pour l’aspect « santé » un rajout de fibres sous formes d’additifs, et de vitamines de synthèse – vendus souvent à des prix égaux ou supérieurs à des aliments biologiques « purs » de première qualité.
Les conséquences du « tout calorie »
Au-delà du fait que beaucoup de jeunes femmes (et d’hommes !) se voient proposer des aliments de qualité médiocre au prix du bio, d’autres conséquences néfastes, mais plus méconnues sont à mentionner :
- Le « cracking » est l’art de réunir des aliments ou composés alimentaires profondément modifiés pour recomposer « de facto » un plat à la composition nutritionnelle idéale (3). Ce qui est très souvent le cas des aliments dits diététiques. Seuls petits problèmes : la myriade d’additifs alimentaires – très souvent de synthèse – nécessaires à leur élaboration, certains procédés de fabrication pas toujours maîtrisés – cuiseurs extrudeurs…–, et la présence suspecte de métaux lourds, pesticides, etc., que l’on trouve dans les aliments provenant d’une agriculture industrielle intensive. Quelles en seront les conséquences pour la santé sur le moyen-long terme ?
- La sensation psychologique que tous les aliments se valent, et la perte d’un savoir diététique populaire jadis connu naturellement de tous : nous pensons alors que les barres allégées ou les substituts de repas sont bons pour la santé, mais nous ignorons totalement leur composition… Nous ne savons plus combien de repas il nous faut faire dans la journée, ni la composition idéale d’un plat. Nous nous méfions de la nourriture de tous les jours, mais mangeons quasiment toutes les heures… Résultat, le consommateur soi-disant bien informé, mais ne sachant plus au fond à qui se fier (4), voit son porte-monnaie s’alléger au profit du « diététique-business», et, paradoxalement son tour de taille augmenter régulièrement.
Petits conseils pratiques pour choisir en bonne connaissance
Nous avons vu que le concept « calorique » d’un aliment est loin de suffire à déterminer un choix correct dans sa consommation et son dosage, que notre corps (et notre mental !) se prêtent difficilement à des mesures précises pouvant servir de repère, et que les solutions « diététiques » proposées par les industriels sont loin d’être idéales. Alors, que faire ?
Pour faire honneur à un désir légitime de surveiller son alimentation, il convient d’abord de faire un état des lieux :
A – Se connaître : commencer par l’IMC (Indice de Masse Corporelle = Poids en Kg/ la taille en mètre au carré) pour se situer dans le tableau de référence. (*)
B – Comprendre et « conscientiser » ses habitudes alimentaires : le cas échéant, consulter une diététicienne ou un nutritionniste qui pourront détecter des troubles alimentaires ou de comportement.
C – Diversifier son alimentation en donnant la préférence aux produits complets ou semi-complets, riches en vitamines, fibres alimentaires, minéraux, protéines, et apportant peu de calories. Les céréales complètes ou semi-complètes, les fruits, les légumes et les végétaux de façon générale doivent dans ce cas se situer au premier rang.
D – Prohiber les régimes amaigrissants : les miracles n’existent pas. Tout régime qui promet une perte de plus de 1 kg par semaine, hors d’un suivi médical est dangereux et à éviter. Il convient alors de requérir l’assistance de spécialistes (diététicienne ou nutritionniste).
E – Acheter « intelligent » : savoir lire les étiquettes. C’est un monde à part nécessitant une bonne vigilance pour une meilleure compréhension. Les points importants à retenir sont:
- Au niveau de la composition du produit : voir notre adresse Internet recommandée à l’annexe (**) pour de bons exemple de décryptage d’étiquette.
- L’information nutritionnelle avec les AJR (Apports journaliers recommandés) (***) : ceux-ci se rapportent à un individu de référence et sont donc là à titre indicatif, sans véritable utilité réelle pour le consommateur « lambda ». Seule la détermination du profil nutritionnel permettra de connaître ses propres besoins.
Pour les novices, la présence du label AB biologique, garantit dans les grandes lignes la qualité de fabrication et la présence d’ingrédients naturels non « trafiqués ». Ce qui ne signifie pas évidemment que l’on peut manger du chocolat bio tous les jours : le bon sens doit rester en alerte. Sinon, éviter surtout des quantités trop importantes de sucre, de graisses et de sel.
F – Éviter les produits alimentaires trop raffinés qui sont un haut concentré d’énergie quand ce ne sont pas simplement des calories « vides » car manquant des nutriments essentiels – vitamines, minéraux, oligo-éléments fibres…
G – Bannir les « gouffres à sucres » : boissons sucrées, pâtisseries. Les réserver pour des moments exceptionnels où l’on s’autorise à « craquer ».
H – Ne pas sauter de repas : l’organisme, « alerté » par ce qu’il interprète comme une pénurie soudaine, prendra l’habitude de conserver des réserves… allant ainsi à l’encontre de l’objectif visé !
I – Retrouver le plaisir de cuisiner chez soi avec des produits de bases biologiques : le porte monnaie s’en trouvera soulagé, et la santé préservée, grâce à l’acquisition « en douceur » d’un savoir diététique pratique. Acquérir des modes de cuissons sains : apprendre à cuisiner avec moins de graisses en limitant les quantités d’huile, de beurre, de margarine. Restreindre les quantités de viandes consommées : les remplacer par des légumineuses (protéines végétales) ou des poissons. Se souvenir que chaque repas est aussi un moment convivial à partager avec notre entourage.
J – Vivre positivement et dynamiquement : faire du sport, sortir avec ses proches, garder l’esprit en alerte, rester curieux. La pensée « positive » est aussi une saine consommatrice d’énergie !
Conclusion
Nous venons de voir que la mesure calorique d’un aliment est une donnée diététique privilégiée par les industriels de l’agro-alimentaire car elle permet de conforter l’illusion qu’il suffit d’acheter un « package alimentaire » étudié en conséquence pour mincir et rester en forme. De plus l’omission ou la mauvaise introduction d’apports fondamentaux (vitamines, minéraux) permet très souvent la fabrication d’aliments médiocres… au prix fort.
Alors que faut-il retenir ? D’abord ceci : chacun doit prendre conscience de la nécessité d’avoir un petit bagage diététique, et se responsabiliser ainsi sur sa santé. Apprendre à cuisiner sain, et à bien choisir ses aliments, comme savaient si bien le faire nos ancêtres, c’est la garantie d’avoir à éviter de payer le prix fort pour arriver aux mêmes buts, sans garantie de résultat.
Retrouvons le plaisir de cuisiner pour soi, sa famille, ses amis. La minceur et la « pêche » viendront tout naturellement.
Pour compléter le sujet, lire “Comparaison calorique de 2 déjeuners modèles pour une jeune femme”
Par Bakri Assoumani et Sauveur Fernandez
Références
(*) Les apports conseillés en énergie :
http://www.afssa.fr/ouvrage/fiche_apports_en_%E9nergie.html
(**) Que peut nous apprendre l’étiquetage ?
http://perso.club-internet.fr/chpavie/etiquett/etiquetage.htm
(***) Apports nutritionnels conseillés :
http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/nutri2000/nutri024.htm
En savoir plus
(1) Les principales composantes de cette balance énergétique sont :
- Métabolisme de base : c’est la quantité d’énergie incompressible, nécessaire au fonctionnement au repos dans des conditions codifiées en température, durée, etc. Elle représente 60 à 70 % des calories brûlées en une journée pour le maintien des fonctions vitales du corps (contractions du cœur et des muscles respiratoires, maintien du tonus musculaire, fonctionnement des reins, régulation thermique…).
Le métabolisme de base dépend de l’âge, du sexe, de la taille et du poids.
- Thermogenèse alimentaire (énergie utilisée pour assurer la digestion, l’absorption intestinale, le stockage des aliments) qui représente 10% de la dépense énergétique totale.
- Activité physique : facteur déterminant pour les dépenses énergétiques, car très variable d’un individu à l’autre, surtout en situation de sédentarité moderne.
Il existe plusieurs modèles d’équation pour calculer la balance énergétique, que nous n’étudierons pas ici, car ils sortent du cadre généraliste de cet article.
(2) à l’aide d’un appareillage spécial – une bombe calorimétrique – cette énergie peut être quantifiée précisément. C’est ainsi qu’on obtient les valeurs standard de 4 Kcal/g (16,8 Kj/g) pour les glucides et les protéines, et de 9 Kcal/g (37,7 Kj/g) pour les lipides.
Le principe consiste à mesurer la chaleur de combustion du produit, en plaçant une quantité précise de ce dernier à l’intérieur de l’appareil. On va ensuite évaluer l’énergie nécessaire pour rompre les liaisons chimiques du produit en le brûlant en présence d’un excès d’oxygène.
(3) Définition du « Cracking » : il s’agit d’opérer sur l’aliment de base (céréales, sucre, végétaux, fruits…) des transformations importantes pour des raisons de coûts, de facilités de fabrication et de conservation, l’éloignant ainsi beaucoup de son apparence d’origine.
D’autres « techno-manipulations » permettront une reproduction à l’identique des ingrédients originels. Des cuisses de poulet, des rôtis de porcs, jambons, pâtés, brochettes de viandes sont ainsi « reconstituées »… au risque d’aboutir à des situations cocasses : afin d’avoir une belle farine blanche, on enlève le son des céréales complètes… avant de les remettre au prix fort dans des pains dits « complets ».
Mais les analyses démontrent, par exemple, que la composition de la purée industrielle déshydratée et reconstituée n’a plus grand chose à voir avec celle des pommes de terres préparées à la maison…
(4) Lire à ce sujet, « Le consommateur, ce grand inconnu »